Du Liban à la Belgique, un parcours atypique et une détermination sans faille

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Tony Yared

Publié le par Frédérique Deffrennes

Certains étudiants de la Haute Ecole ont des parcours peu banals. Tony Yared vient d'être diplômé Infirmier responsable de soins généraux à 42 ans en juin dernier. Pourtant, dans son pays d'origine, le Liban, sa carrière d'infirmier était déjà bien établie. Pourquoi et comment reprend-t-on des études à plus de quarante ans ?

Tony, pouvez-vous nous expliquer d'où vous venez ?

Je viens du Liban où j'ai travaillé au Saint George Hospital University Medical Center, à Beyrouth, comme infirmier au bloc opératoire pendant 17 ans. En tant qu'infirmier perfusionniste, mon rôle consistait à réaliser, sous le contrôle du chirurgien et du médecin anesthésiste, la circulation extra-corporelle (CEC) du patient. Pour certaines opérations, le cœur doit être arrêté pour permettre une action chirurgicale sur le muscle cardiaque. Il faut alors assurer une assistance cardio-circulatoire ou respiratoire pour garantir la préservation du cœur pendant le travail du chirurgien.

En 2019, la situation économique et sociale du Liban s'est fortement dégradée. Cela s'est encore aggravé avec la pandémie du coronavirus, mais c'est surtout l'explosion dans le port de Beyrouth, en août 2020, qui nous a poussés, mon épouse et moi-même à quitter le pays. Nous souhaitions trouver un environnement plus stable et davantage de sécurité pour nos 2 filles (qui ont aujourd'hui 11 et 13 ans).

Mon épouse, Lara, est infirmière pédiatrique. Grâce à son diplôme français, elle a obtenu un poste aux Cliniques de l'Europe en avril 2021 et nous l'avons rejointe deux mois plus tard.

A votre arrivée en Belgique, avez-vous pu exercer comme infirmier ?

Dès mon arrivée, j'ai entamé des démarches auprès de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour obtenir l'équivalence de mon diplôme, mais elle m'a été refusée, ayant été diplômé d'une université libanaise. Pour exercer comme infirmier, je devais reprendre des études. J'avais trouvé du travail dans une société de soins à domicile, je faisais des prélèvements et des tests PCR, mais mon but était d'exercer à nouveau en CEC.

J'ai alors entamé une demande de VAE (Valorisation des Acquis de l'Expérience) à la HE Vinci. La conseillère VAE m'a accompagné pour soutenir le processus de la demande VAE. Sur base du dossier déposé et de l’analyse de ma demande, la cheffe de département m’a communiqué le programme de formation qui serait le mien. Il comportait 62 crédits à suivre et à valider. Cela comprenait la dernière année du bachelier (y compris les stages et le TFE) et un cours de Bloc 3. Grâce à la reconnaissance de toute mon expérience, j'ai entrepris dès septembre 2022 d'obtenir mon diplôme en une année académique.

J'ai reçu les résultats en juin dernier et j'ai obtenu une distinction ! Début juillet, j'ai signé mon contrat au bloc opératoire des Cliniques de l'Europe-Sainte-Elisabeth où j'ai commencé à travailler à la fin août, à 4/5èmes.

J'ai demandé ce temps partiel car l'année qui vient, je souhaite continuer à me rapprocher de mon but (retravailler en CEC). Je me lance dans une formation de 2 ans à l'université de Liège, deux fois par semaine.

Mon épouse était également étudiante à la HE Vinci cette année. Elle a suivi la spécialisation en pédiatrie et elle a également reçu son diplôme en juin. Nos deux filles ont également bien réussi (l'aînée a passé son CE1D). Nous avons donc fêté toutes nos réussites en ce début d'été.

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On imagine que jongler entre vie professionnelle/personnelle et les études n'a pas été de tout repos.

Ce fut une année difficile, c'est certain. Nous avons tous les deux consacré tout notre temps aux études, et à l'apprentissage du français en famille. Nous n'avons pas pu retourner voir nos familles au Liban pour les fêtes et cela nous a manqué. Nous avons néanmoins pu y aller cet été.

Financièrement aussi, ce fut compliqué car nous dépendions uniquement du salaire de mon épouse. Heureusement, j'ai pu bénéficier d'une aide financière de la HE Vinci via le Conseil social.

Le plus difficile dans la formation ont été les stages car je n'avais plus eu de contact avec les patients depuis un certain temps (en salle d'opération, les patients sont endormis). J'ai dû réapprendre les soins directs aux patients. Mais mon objectif de retourner au bloc opératoire m'a permis de franchir les moments difficiles.

Auriez-vous un conseil à donner à un étudiant qui reprend des études, comme vous ?

Je lui dirais d'être patient, ne pas perdre son objectif de vue. Il faut être humble aussi. Ce n'est pas évident, à mon âge, et avec mon expérience, de retourner à l'hôpital en tant que stagiaire. Il faut accepter les remarques avec philosophie et positiver.

Quel regard avez-vous sur cette année qui vient de s'écouler ?

Je me dis que c'est le fait de réduire la durée des études à 1 an qui a permis de rendre tout cela possible. Grâce à la VAE, je vais pouvoir reprendre le cours de ma carrière. Sans cela, j'aurais été bloqué dans des fonctions qui ne me correspondaient pas. Même si cela a été une année intense, savoir que le programme a été adapté à mon parcours, en reconnaissant mes compétences, m'a encouragé à franchir les étapes.