Bonjour Ugo, quel a été votre parcours depuis votre sortie du bachelier en audiologie ?
Je suis sorti du bachelier en audiologie en septembre 2021. A ce moment-là, je ne me retrouvais ni dans le métier d’audiologue, ni dans celui d’audicien : après mes différents stages, j’avais l’impression qu’il me manquait encore quelque chose. En Belgique francophone, il n’existe pas de Master en audiologie donc j’ai regardé ce qu’il existait comme options à l’étranger et mon choix s’est porté sur le Master en neuroprothèses sensorielles et motrices de Montpellier. Il est accessible sans passerelle supplémentaire pour les diplômés de la HE Vinci. Il faut néanmoins déposer un dossier de sélection, avec lettre de motivation et éventuellement des entretiens, car les places sont limitées à 20 étudiants par promotion.
Aujourd’hui, ce master se donne en alternance mais à l’époque où je l’ai fait, on avait 2,5 jours de cours uniquement sur la semaine, ce qui permettait de travailler à mi-temps à côté. C’est ce que j’ai fait : j’ai exercé comme audioprothésiste pour financer mon master. Pour travailler en France, j’ai dû faire une équivalence de diplôme mais qui est purement administrative.
Pendant ce master, j’ai eu la chance de pouvoir faire un Erasmus à l’Université de Liège, auprès de la Professeure Axelle Calcus. C’est de cette manière que j’ai vu qu’elle recherchait des étudiants en thèse pour un gros projet de recherche auquel j’ai postulé. J’ai été sélectionné et j’ai donc pu commencer ma thèse, dès le mois d’octobre 2023.
Ma thèse s’intègre donc dans un gros projet de recherche qui a reçu une bourse ERC (Conseil Européen de la Recherche) pour l’encadrement de 3 post-doctorants et 3 étudiants en thèse. Le projet s’intéresse au développement des voies auditives et des habilités à l’adolescence, à l’impact de la puberté sur le développement cortical. J’ai intégré ce projet en tant que spécialiste de l’audition alors que les autres membres de l’équipe sont plutôt ingénieurs, bioingénieurs et neuropsychologues. Là, je suis au milieu de ma thèse et c’est vraiment chouette ! On vient de terminer une petite étape du projet, sur l’impact de l’exposition à la musique chez les adolescents sur la perception de la parole dans le bruit.
Vous êtes donc souvent en contact avec des adolescent∙es dans le cadre de votre thèse ?
Oui. J’avais envie d’une thèse qui gardait un fort aspect humain. On a souvent en tête le stéréotype du chercheur qui reste dans son bureau et qui n’en sort jamais. Ici, comme notre sujet d’étude, c’est la puberté, on est directement en contact avec des ados. Il y a des études pour lesquelles on va directement dans les écoles pour faire passer nos tests. Il y en a d’autres qui nécessitent du matériel spécifique, pour faire des électro-encéphalogrammes ou faire passer des IRM, par exemple. Dans ce cas, nous faisons venir les adolescent∙es à l’hôpital.
Donc oui, l’aspect social est très important : que ce soit dans la période de recrutement où l’on fait beaucoup de vulgarisation scientifique auprès des enfants et des adolescent∙es pour leur expliquer les projets mais aussi pendant les périodes de testing qui peuvent durer entre 3h et une journée entière. Dans ce cas, il faut éviter qu’ils s’ennuient, faire en sorte que cela reste dynamique et qu’ils comprennent ce que l’on fait avec eux et pourquoi on le fait.
Oui. J’avais envie d’une thèse qui gardait un fort aspect humain. On a souvent en tête le stéréotype du chercheur qui reste dans son bureau et qui n’en sort jamais.
Et qu’est-ce qui vous a donné envie de commencer l’audiologie, initialement ?
A la base, je n’avais absolument aucune idée de ce que je voulais faire. Après ma rhéto, j’ai fait une 7e année préparatoire parce que je n’avais pris aucune option scientifique pendant mes secondaires. Or, je sentais bien que c’était davantage vers les sciences que je voulais me diriger pour mes études supérieures. Ensuite, j’ai commencé des études de pharmacie mais j’ai vraiment détesté, que ce soit pour les cours, l’ambiance ou la taille immense des auditoires. J’ai donc choisi d’aller travailler après ma session de janvier et d’effectuer des recherches pour choisir d’autres études, l’année suivante.
J’ai été dans un centre d’orientation à Louvain-la-Neuve où on m’a fait remplir une panoplie de questionnaires pour déterminer ce que je cherchais. La conclusion, c’était que je cherchais des études beaucoup plus pratiques, avec des stages rapidement, qui mènent à un métier qui restait dans la santé et où nos connaissances scientifiques peuvent nous servir à aider autrui. Ils m’ont sorti toute une liste d’études qui correspondaient à ces critères et l’audiologie était le premier de la liste !
Je suis ensuite venu suivre des cours ouverts pour voir si ça me pouvait me plaire : j’ai adoré le cours d’audiologie clinique et donc en septembre, j’ai démarré le bachelier !
Donc, si je comprends bien, vous n’aviez pas l’intention de faire de la recherche au moment de commencer les études ?
Non seulement je n’avais pas du tout envisagé de faire de la recherche mais encore plus drôle : au moment où j’ai commencé l’audiologie, je n’avais pas vraiment compris ce qu’était le métier d’audiologue. Sur papier, les cours me plaisaient et les débouchés avaient l’air sympa mais je n’avais pas vraiment compris les responsabilités qu’on avait en tant qu’audiologue ou en tant qu’audicien. Je n’ai découvert ce qu’était le métier, au quotidien, qu’au moment des stages.
Et je n’avais pas pensé à la recherche avant mon travail de fin d’étude, que j’ai réalisé sur mon lieu de stage au CHU de Charleroi. Là, j’ai été encadré par le docteur Mat qui terminait l’ORL et faisait une thèse de recherche. Je pense qu’il m’a vraiment transmis cette envie d’être curieux et d’aller plus loin. Il m’a fait prendre conscience qu’en audiologie, aussi, on pouvait faire de la recherche. Il y a déjà beaucoup de choses qui ont été faites dans le domaine mais plus encore qui doivent être faites car tout évolue énormément.
Je pense que [le docteur Mat] m’a vraiment transmis cette envie d’être curieux et d’aller plus loin. Il m’a fait prendre conscience qu’en audiologie, aussi, on pouvait faire de la recherche.
Et vous avez déjà une idée d’où vous vous voyez dans 5 ans ?
Non pas précisément. La recherche, c’est un métier passionnant, très stimulant intellectuellement mais aussi très administratif et où l’on doit passer beaucoup de temps à rechercher de l’argent pour monter des projets. Ici, j’ai eu énormément de chance d’être engagé sur un projet qui avait déjà obtenu un financement mais c’est assez exceptionnel. Habituellement, on commence sa thèse en postulant pour des bourses, comme le FNRS, et les places sont rares. Donc, même si on est brillant et qu’on a de très bonnes idées, le facteur chance joue beaucoup pour l’obtention d’un financement. Pour cette raison, je ne suis pas sûr de vouloir me battre tout le reste de ma vie pour obtenir de l’argent afin de pouvoir réaliser mes recherches mais on verra d’ici-là !
Et le fait de travailler avec des adolescents, c’était quelque chose qui vous attirait ou qui, au contraire, vous faisait peur ?
J’ai été dans les mouvements de jeunesse pendant longtemps donc ça a été très naturel de travailler avec des ados, le contact passe bien. Je crois d’ailleurs que c’est un aspect du projet qui m’a attiré car c’est une population qui est très peu étudiée dans la recherche et pour laquelle les chercheurs et chercheuses peuvent avoir toute une série de préjugés. Ils sont dans un entre-deux, plus tout à fait des enfants mais pas encore des adultes. Ce qui fait qu’ils sont très peu étudiés : leurs comportements sont souvent sous-estimés et les pathologies sont souvent moins bien traitées chez les ados que chez les adultes ou les enfants.
Et est-ce que vous auriez envie d’enseigner à un moment de votre parcours ?
Oui, d’ailleurs dernièrement j’ai donné un cours en remplacement d’Axelle Calcus et j’ai trouvé ça super ! Pour moi, c’est un peu la fin de la boucle : une fois qu'on a appris beaucoup, il faut transmettre au suivant et c’est par l’enseignement que ça peut se faire. Par le fait de donner cours mais aussi par l'encadrement de stage, de mémoire, etc. Donc oui, pour moi c’est important. Et ce serait presque dommage de me dire que pendant 10 ans, en comptant le financement de ma thèse, l’Europe m’a permis de faire des études et que moi, je garderais tout pour moi, sans repartager mes connaissances. Donc oui, l’enseignement fait partie logique de la suite.
Pour moi, c’est un peu la fin de la boucle : une fois qu'on a appris beaucoup, il faut aussi transmettre au suivant et c’est par l’enseignement que ça peut se faire. Par le fait de donner cours mais aussi par l'encadrement de stage, de mémoire, etc.
Qu’est-ce que vous diriez à un futur étudiant qui hésiterait à se lancer en audiologie ?
Une des grosses craintes que j’avais quand j’ai commencé les études, c’était qu’elles étaient professionnalisantes et ne donnaient accès qu’à un seul métier. Mais finalement, on n’est jamais complètement coincé. En audiologie, si on travaille en hôpital, il y a toujours des perspectives d’évolution et quand on travaille dans un centre en tant qu’audicien, on peut se retrouver manager d’une équipe, devenir indépendant et ouvrir son propre centre, etc. On peut également se lancer dans la recherche : il y a beaucoup d’études qui sont faites dans les hôpitaux et qui ne nécessitent pas d’avoir obtenu un doctorat pour y participer. Bref, il y a toujours moyen d’évoluer ou de bifurquer en utilisant les connaissances et l’expérience acquises en audiologie.
Et puis le bachelier en audiologie, ce sont des études assez courtes qui ouvrent vers des métiers qui permettent d’avoir une très bonne qualité de vie ensuite. C’est un métier de la santé pour lequel on recherche beaucoup de praticiens et praticiennes, que ce soit en centre ou en hôpital et où, globalement, on respecte les horaires de bureau.
Un dernier message à faire passer ?
C’est valable avec toutes les populations que l’on rencontre mais plus particulièrement en pédiatrie : quand on se rend compte que notre petite action va avoir un impact énorme sur le reste de la vie de l’enfant, c’est super gratifiant ! Et en tout cas, dans ma philosophie de vie, me dire que quand je rentre le soir, j'ai fait quelque chose qui a pu aider les gens, c'est le plus important. C’est pour cette raison que c’est vraiment un chouette métier !