Inégalités scolaires en maternelle : comment préparer les futurs enseignants ?

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Publié le par Alba V

Premiers pas des enfants dans le monde de l'école, l'école maternelle est un passage essentiel où les inégalités scolaires peuvent déjà s'installer. Les futurs enseignants dans le préscolaire auront des élèves aux profils forts différents. Comment être bien préparé à cet aspect de leur futur métier ? Natacha Pollet et Lara Herinne, dans le département Enseignement Section 1 nous parlent de l'unité d'enseignement mise en place pour les outiller aux mieux.

Quelle a été l’origine de la création de l’unité d’enseignement ? Était-ce une demande du milieu professionnel ?

Oui, en effet, il y avait une demande du terrain. Des enseignants trouvaient et trouvent encore qu'ils ne sont pas assez outillés pour faire face à ces réalités-là.

Au départ, il y a également eu un appel de la Fondation Roi Baudouin, en 2012. Ils ont fait un énorme travail d'intervision entre toutes les hautes écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. À l’époque, nous avions pu échanger des idées, des difficultés que nous rencontrions et que nous partagions.

De cet appel a découlé une brochure co-écrite sur les inégalités scolaires et les relations pédagogiques qui s'appelle “Voir l'école maternelle en grand”. S’y retrouve une série de conseils pour la formation des enseignants.

En parallèle, nous avons travaillé ensemble avec mon collègue François Landercy pour mettre en place l’unité pédagogique "Inégalités scolaires et relation pédagogique" qui a finalement vu le jour en 2015, dans la foulée du décret paysage.

En fait, on parle plutôt de publics éloignés des codes de l’école. Cela ne se résume pas à la pauvreté. Il y a d'autres paramètres à prendre en compte.

Nous les formons notamment sur base de la question suivante : “En tant qu’enseignant, quels types de pratiques pourraient renforcer les inégalités sans que je m’en aperçoive ?"
Natacha P.

Comment abordez-vous ces questions dans cette unité pédagogique ?

La particularité de ce que nous proposons à la Haute Ecole sur cette thématique est le nombre important d’allers-retours entre les éléments théoriques et le terrain. Nous ne voulions pas que les étudiants reçoivent uniquement des informations théoriques.

Nous essayons de mettre en place des situations où les étudiants peuvent aller chercher dans leur vécu personnel, dans ce qu’ils ont déjà pu vivre dans leur parcours.

Nous les formons notamment sur base de la question suivante : “En tant qu’enseignant, quels types de pratiques pourraient renforcer les inégalités sans que je m’en aperçoive ?” Nous abordons alors tout ce qui est de l’ordre de l’apprentissage des codes de l’école, qu’ils soient langagiers, culturels, relationnels, etc. L’entrée en maternelle est toujours le premier pas de l’enfant dans l’école et ces codes-là doivent être appris. Parfois, les enseignants peuvent penser que cela va couler de source, que cela a été appris en famille, mais ce n’est pas toujours le cas.

Dans le cours de diversité culturelle, il y a par exemple des mises en situation sur le choc culturel, une matinée de rencontre et des temps de travail accompagnés.

Pouvez-vous nous partager un exemple d’activités que vous proposez aux étudiants ?

Concrètement, dans leur évaluation, nous leur demandons d'imaginer un projet qui vise, en tout cas, à ne pas renforcer les inégalités sociales à travers l’école.

Lors du premier quadrimestre, nous avons organisé au sein du département une matinée de rencontre avec des acteurs de terrain. Cette année, nous avons eu la chance d’avoir la présence de Solaÿman Laqdim, délégué général aux droits de l’enfant, Lire & Ecrire ASBL, Couleurs Jeunes ASBL, des enseignants, des inspecteurs, etc. Des personnes qui gravitent autour de l’école et qui de préférence ne sont pas instituteur ou institutrice. Les étudiants y ont la possibilité de raconter leur projet. Ces acteurs de terrain leur font un retour à chaud sur leur présentation avec leur expertise. Pour les étudiants, recevoir des retours d'acteurs du monde professionnel est reçu différemment. Par la suite, ils ont encore plusieurs semaines pour retravailler leur projet avant de le présenter à l’examen.

Solaÿman Laqdim lors de la matinée de rencontre organisée par le département Section 1


Quels messages essayez-vous, en tant qu’enseignantes de futurs enseignants, de faire passer à vos étudiants sur ces questions-là ?

Nous insistons beaucoup sur la question des lieux de pouvoir. En tant qu’enseignant, nous occupons un poste de pouvoir sur le parcours des enfants, mais aussi sur les familles.

C’est pourquoi, nous avons à cœur de leur donner les clés, les outils, pour que plus tard, ils ou elles ne se découragent pas dans leur rôle d’enseignant. Je suis convaincue que sur ces questions-là, cela se joue presque plus dans des petits éléments que dans une grande révolution de l’enseignement. Il est important de prendre conscience de tous ces petits moments charnières où ils peuvent agir.

Il n’y a pas de baguettes magiques. Les étudiants ne vont pas résoudre les inégalités. C'est aussi en comprenant cela qu'ils s'autoriseront à agir.

Il faut oser se remettre réellement en question. Ce n’est pas grave de se remettre en question. A l’inverse, c’est plutôt positif d’avoir cette capacité-là.
Natacha P.

Quelles sont les particularités du métier d’instituteur et institutrice en maternelle ?

Au niveau de l'école maternelle, c'est là où il y a le plus de mixité. Je dis clairement aux étudiants : “Vous y rencontrerez tout type de famille, tout type d'élèves. Vous n'allez pas sélectionner, vous ne pourrez pas choisir de travailler uniquement avec ceux que vous trouverez les plus faciles. Vous serez confrontés à ces questions-là, c'est sûr et certain.” Nous insistons aussi sur le fait que cela fait partie de leur contrat d’enseignant de travailler avec tous les enfants. En fait, ils en prennent souvent déjà conscience de par leurs stages. Ils accueillent leur formation avec un réel intérêt car ils en perçoivent l'utilité directe.

Comme je le disais précédemment, il nous tient à cœur de les outiller et de leur apprendre à ne pas se décourager. Il faut parfois réessayer plusieurs fois et oser se remettre réellement en question. Ce n’est pas grave de se remettre en question. A l’inverse, c’est plutôt positif d’avoir cette capacité-là. Il est aussi primordial d'oser aborder ces questions en équipe. Un enseignant peut vite se sentir seul face aux difficultés qu’il ou elle rencontre dans sa classe.

Vous parliez précédemment d'une demande du terrain à être formé sur ces questions-là. Pour celles et ceux qui sont déjà actifs dans le métier, ont-ils des possibilités de se former ou de continuer à se former ?

Oui, à la suite de la parution de la première brochure “Voir l'école maternelle en grand”, un second projet a suivi, toujours avec la Fondation Roi Baudouin. Il s’agit de “La maternelle, c'est essentiel” qui a récemment été lancé où les enseignants de terrain peuvent suivre un module de formations. Le premier webinaire a déjà eu lieu et a rencontré un franc succès !

Tout au long du partenariat avec la Fondation Roi Baudouin, l'équipe des enseignants du département a aussi été formée. Pendant plusieurs années, nous avons eu des réunions régulières sur cette thématique, des ateliers, des invités,... C’est durant ces réunions que nous avons aussi décidé de renforcer cette thématique-là durant le stage en classe d'accueil des étudiants en Bloc 3.

En savoir plus sur le projet "La maternelle, c'est essentiel" sur enseignement.be